Zoom... sur Grenoble INP - ENSE3 !

Accueillie par Delphine Riu, directrice de l'École nationale supérieure de l'énergie, l'eau et l'environnement (Grenoble INP - ENSE3, UGA), l'équipe de rédaction de prepas.org pose aujourd'hui ses valises à Grenoble, grande capitale scientifique européenne.

Delphine Riu nous propose un tour d'horizon de l'ENSE3 et de ses filières ; elle présente les objectifs de formation mis en œuvre au sein de l'école, concourant à former des ingénieur(e)s rompu(e)s aux enjeux de transitions environnementale et numérique.

Merci à elle et à ses équipes !

[prepas.org] – L'ENSE3 est membre fondatrice de Grenoble INP, grand établissement grenoblois qui bénéficie d'un environnement géographique et scientifique très riche. Pourriez-vous décrire en quelques mots l'ENSE3, Grenoble INP et les spécificités de l'écosystème grenoblois ?

[Delphine Riu] – Il faut savoir que Grenoble est le deuxième pôle scientifique français après Paris. L'ENSE3 est située le long de la grande avenue grenobloise des Martyrs, avenue où la densité en scientifiques est la plus importante d'Europe. On retrouve au sein d'un même polygone scientifique le CEA, le CNRS, Phelma, l'ENSE3 et bien d'autres grandes structures, comme des laboratoires de recherche (l'institut Laue-Langevin, le Synchrotron...) et des entreprises (Schneider Electric, EDF...). À Grenoble, un habitant sur 5 est étudiant ou chercheur !

L'ENSE3 fait partie de Grenoble INP, grand établissement composé de sept écoles d'ingénieurs et d'une école de management. Grenoble INP forme chaque année 9 000 étudiants, avec près de 70 000 ingénieurs et manageurs diplômés dans le monde. Toutes nos écoles proposent des activités académiques et associatives communes à l'ensemble des étudiants afin d'enrichir leur formation et favoriser leur épanouissement.

« La formation est structurée autour de quatre piliers disciplinaires : le traitement de l'information, l'énergie électrique, la mécanique des structures et la mécanique des fluides. »


La grande majorité des 1 300 étudiants accueillis chaque année par l'ENSE3 suit le cycle ingénieur dont la formation est structurée autour de quatre piliers disciplinaires : le traitement de l'information, l'énergie électrique, la mécanique des structures et la mécanique des fluides. Après une première année de tronc commun pour découvrir et apprécier les différents champs disciplinaires, les étudiants se dirigent vers une de nos huit filières métiers. Une formation en alternance est également ouverte aux étudiants issus de classes préparatoires.

La mutualisation des cours de master, où les étudiants sont en grande majorité non francophones, et ceux de nos filières ingénieurs est l'occasion de proposer une formation bilingue à l'ensemble de nos étudiants. Près de la moitié des cours de troisième année sont ainsi dispensés en anglais.

[prepas.org] – L'ENSE3 promeut une formation centrée sur la prise d'initiatives, de type « bac à sable ». Késako ?

[Delphine Riu] – Nous souhaitons à l'ENSE3 nous adapter aux besoins de nos étudiants, chez qui l'on ressent depuis plusieurs années un changement d'état d'esprit. Les préoccupations d'étudiants très concernés par les enjeux sociaux-écologiques se sont particulièrement renforcées au fil des années.

« Si vous êtes intéressés par les enjeux de sobriété, la précarité énergétique, l'accès à l'eau et la gestion des déchets, investissez-vous ! »


Une première manière d'y répondre a été de proposer aux élèves des terrains de jeu. Avec un message très clair : si vous êtes intéressés par les enjeux de sobriété, la précarité énergétique, l'accès à l'eau et la gestion des déchets, investissez-vous à travers les associations qui sont extrêmement actives. Notre premier « bac à sable » consiste ainsi à pousser les étudiants à investir les activités associatives et surtout à valoriser ces activités à travers du temps dégagé, de les reconnaître via des crédits ECTS, de les soutenir matériellement ou de proposer un accompagnement par des ingénieurs. Un exemple parmi d'autres : le projet Tri-haut dont l'initiative revient entièrement à nos étudiants. Ce projet vise à apporter une solution technique à des problématiques de déchets sauvages dans l'Everest en s'appuyant sur des techniques de pyrolyse.

On incite également nos étudiants à réfléchir dès la première année à des parcours qu'ils vont pouvoir moduler en fonction de leurs envies. Certains font le choix de profiter d'une année de césure pour s'impliquer dans une association, pour créer une entreprise, pour suivre des stages supplémentaires, développer des compétences transversales ou partir à l'étranger.

[prepas.org] – L'ENSE3 se positionne au sein des écoles d'ingénieurs comme une des grandes figures de la formation à la transition écologique. Cette volonté s'appuie-t-elle seulement sur des activités associatives ou se matérialise-t-elle par des activités de nature plus académique ?

[Delphine Riu] – Nous portons comme ambition de voir tout(e) ingénieur(e) de l'ENSE3 devenir vecteur, ambassadeur et formateur autour des enjeux de transitions écologique et numérique. Au-delà du seul phénomène générationnel, les élèves qui intègrent l'ENSE3 sont très sensibilisés à ces thématiques et ont à cœur de pouvoir y répondre efficacement en tant que futurs ingénieurs.

Nos cursus de formation veillent à intégrer ces enjeux. Nous travaillons par exemple dès la première année autour des conclusions du GIEC et les possibilités d'actions en tant qu'ingénieurs. Nous souhaitons ne pas nous limiter aux seules considérations environnementales et intégrons, pour développer une vision multi-facettes, les notions de justice sociale, d'impact économique et d'enjeux politiques. En deuxième année, les étudiants bâtissent un projet d’ingénierie et doivent apporter une analyse d'impact environnemental, répondant aux 17 objectifs du développement durable définis par l'ONU. En troisième année, c'est un projet d’ingénierie de transition qui est enfin développé par les élèves.

Tous les étudiants doivent également réaliser un bilan carbone et disposent d'un quota carbone (6 tonnes d'équivalents CO2 pendant leurs trois années de cursus). Pour de futurs ingénieurs amenés à réaliser des bilans carbone, il est intéressant d'initier la pratique de façon précoce ; cette idée est d'ailleurs venue des élèves eux-mêmes. Le quota carbone a immédiatement permis d'appréhender les outils du bilan carbone et de développer des stratégies : on peut, par exemple, organiser une mobilité lointaine mais en partant une seule fois sur une longue durée.

L'école est également observatrice pour la COP ; une équipe d'étudiants participent aux négociations climatiques et organisent des événements tout au long de la COP et à leur retour. Des conférences aux thématiques variées favorisent le débat d'idées au sein de l'école. Cela amène d'ailleurs l'école à revoir ses pratiques : nous sommes par exemple loin d'être parfaits dans la gestion de déchets et une étude a été menée par des étudiants mobilisés sur ce sujet.

[prepas.org] – Les enjeux de transition écologique poussent également à interroger le bâti actuel et à développer ou revenir à des conceptions architecturales moins énergivores. Le rôle des ingénieurs est et sera central. Pourriez-vous présenter les grandes lignes du parcours commun monté avec l'ENSAG, l'école d'architecture de Grenoble ?

[Delphine Riu] – La parcours PARIN est un certificat de compétences créé en partenariat avec l'école d'architecture de Grenoble. Il part du constat que dans de trop nombreux projets d'architecture, le travail amont repose seulement sur la vision d'architectes, sans concertation préalable avec des ingénieurs. Mais la réalité technique vient souvent heurter la vision artistique... La philosophie du parcours PARIN est tout autre. Les élèves des deux écoles travaillent en commun dès le début du projet architectural. Nous proposons des cours sur les volets techniques aux élèves-architectes et des cours sur le volet architectural aux élèves-ingénieurs, dont des cours d'histoire pour comprendre les choix et enjeux architecturaux et leur évolution au cours du temps. Viennent ensuite des projets communs, avec prototypage en carton (matériau économe) de maquettes démontables. En troisième année, les étudiants travaillent pour de vrais clients (communautés urbaines ou péri-urbaines) autour de produits d’aménagements du territoire pour lesquels ils doivent apprendre à tenir compte de certaines spécificités énergétiques et architecturales.

[prepas.org] – Comme de nombreuses écoles d'ingénieurs, votre établissement souhaite répondre à des objectifs de valorisation de l'innovation et de la recherche. Quelles sont les possibilités offertes aux élèves-ingénieurs pour moduler leurs parcours et favoriser le contact avec le monde de la recherche ?

[Delphine Riu] – Notre école a mis en place un parcours Innovation en 2015. Un séminaire de créativité en première année, conçu pour 300 étudiants, vise à répondre à un défi proposé par une entreprise ou un partenaire de l'école. Le problème est souvent complexe, mal posé, n'a pas toujours de solution et nécessite d'avoir plusieurs regards pour le traiter. C'est une sorte d'électro-choc psychologique pour promouvoir la construction d'une solution en équipe, sur la durée, qui répond à un client. Outre le fait de créer un effet de promotion, cela permet à certains étudiants de concrétiser des idées ou des projets d'entrepreneuriat.

« Les ingénieurs rencontrent souvent des problèmes complexes, mal posés, qui n'ont pas toujours de solution et qui nécessitent d'avoir plusieurs regards pour le traiter. »


En deuxième année, tous les élèves travaillent sur un projet d’ingénierie. Une cinquantaine d'étudiants l'effectuent sous forme d'immersion en laboratoire, au sein d'une véritable équipe de recherche L'ENSE3 promeut également les parcours d’entrepreneuriat en collaboration avec le pôle pépites « Ozer » de l'université de Grenoble. Les étudiants sous statut « étudiant entrepreneur » se voient alors offrir des aménagements de scolarité pour développer leur propre entreprise. En troisième année, deux semestres optionnels permettent de s'investir davantage dans le domaine de l'innovation. Un premier semestre offre une expérience du métier d’ingénieur par une mise en situation sur un projet réel innovant, son but étant d'apprendre à accompagner une innovation pour qu'elle « rencontre » son marché. Le second semestre, co-construit avec des étudiants, est destiné à partir d'un produit industriel déjà sur le marché et à revoir son processus de conception afin de minimiser son impact environnemental, en limitant les matériaux utilisés, en intégrant une analyse bilan-carbone, tout en se questionnant sur la circularité et de la fin de vie de l'équipement.

Nous mettons enfin à disposition des étudiants un FabLab de 500 m2. Des étudiants y ont par exemple fabriqué des éoliennes portatives pour randonneurs, un chercheur y fabrique des voiles de ballons dirigeables pour surveiller le transport de marchandises... On y trouve des outils peu communs comme une découpeuse laser ou à jet d'eau (découpe de l'acier jusqu'à 5 cm). Certains de nos élèves affectionnent particulièrement ce FabLab.

[prepas.org] – Pour des observateurs assez éloignés des classes prépa et des écoles d'ingénieurs, la dissymétrie dans les modes d'apprentissage en CPGE et en école d'ingénieurs interroge parfois. L'assise académique qu'offrent les enseignements de classes préparatoires se conjugue-t-elle bien aux besoins de formation des écoles d'ingénieurs ?

[Delphine Riu] – Le socle scientifique et les méthodes scientifiques développés en classe préparatoire sont de véritables atouts. Les étudiants issus de CPGE sont en capacité de réfléchir très vite, de trouver rapidement des solutions, d'avoir une démarche scientifique intéressante avec des analyses pertinentes de corrélation et de causalité. Le recul disciplinaire en mathématiques et en physique offre en particulier aux anciens étudiants de CPGE une marge d'avance importante par rapport aux étudiants issus d'autres formations.

« Les classes préparatoires et les écoles d'ingénieurs forment conjointement des élèves à un très haut niveau scientifique, c'est une vraie force. »


Notre rôle en école d'ingénieurs est ensuite de les aider sur trois années à travailler davantage en équipe, de revoir certaines méthodes de résolution. Nous formons conjointement des élèves à un très haut niveau scientifique, c'est une vraie force. En tant qu'école d'ingénieurs, il nous importe de nourrir une vraie logique d'interdisciplinarité pour répondre aux problématiques du domaine des transitions, avec la volonté de parfaire le socle disciplinaire pour ensuite aller travailler aux interfaces.

Si je devais noter un point négatif chez les étudiants de CPGE, ce serait le temps de préparation accordé au choix de l'école. Encore trop d'élèves arrivent en étant peu renseignés, essentiellement guidés par des classements issus de magasines spécialisés ou les statistiques du SCEI. Il n'est pas simple d'apprendre à connaître et à classer 200 écoles, on le comprend bien. La réflexion doit se faire sur le temps long.

Crédits photos : © Denis Morel (avec l'aimable autorisation de l'école)

Retrouvez également l'interview d'Emmanuel Duflos, directeur de l'École Centrale de Lille.