
Accueillie par Pascal Mognol, directeur de l'École Normale Supérieure de Rennes (ENS Rennes ), l'équipe de rédaction de prepas.org pose aujourd'hui ses valises à Rennes.
Pascal Mognol nous propose un tour d'horizon de l'ENS Rennes, des évolutions en cours et de celles à venir.
Merci à lui et à ses équipes !
[prepas.org] - Pascal Mognol, vous êtes président de l’ENS Rennes, devenue ENS à part entière en 2013 et établissement-composante de l’Université de Rennes (EPE) depuis 2023. Pouvez-vous nous présenter votre parcours et la dynamique de l’ENS Rennes au sein de l’Université de Rennes ?
[Pascal Mognol] - J’ai toujours été passionné par la technologie. Cela m’a amené à faire un bac technologique et une prépa TA (TSI aujourd’hui). J’ai ensuite intégré l’ENS Cachan en 1986, obtenu l’agrégation de génie mécanique en 1989 (2ème), soutenu une thèse de doctorat en 1994 et une Habilitation à diriger les recherches en 2005.
Ma carrière s’est déroulée à l’ENS Cachan, puis à l’ENS Cachan-Antenne de Bretagne devenue en 2013 l’ENS Rennes.
Parallèlement, enseignant les procédés de fabrication et les technologies associées, je suis devenu le directeur du département de mécatronique avant d’être le vice-président recherche de l’ENS Rennes. Lors du départ en retraite du président, j’ai posé ma candidature et depuis 2016, je suis le président de l’ENS Rennes, mon deuxième mandat se termine en juillet 2026.
Un point singulier est que je suis né dans un petit village de 350 habitants dans le sud manche. Je fais partie de ces personnes qui doivent beaucoup à « l’ascenseur social ». Je constate qu’aujourd’hui, il est plus difficile de réaliser un parcours de ce type. Malgré les efforts fournis par de nombreux acteurs, la diversité sociale dans nos grandes écoles (et dans les universités au niveau Master) reste à la peine. C’est un point sur lequel nous travaillons à l’école, en collaboration avec les autres ENS.
Faire partie de cet ensemble était ainsi une évidence pour l’école : de nombreuses formations se font en commun avec l’université et nous avons pour habitude, depuis la création de l’antenne de Bretagne de travailler ensemble, que cela soit au niveau stratégique ou au niveau des services. Rejoindre l’EPE est une façon de poursuivre cet engagement commun à imaginer notre avenir ensemble, à profiter l’un de l’autre, de la puissance de l’université et de l’attractivité de l’école, du positionnement à l’international de l’université et de l’agilité de l’école, …
L’EPE Université de Rennes est aussi un lieu où la majorité des grandes écoles du site rennais se retrouvent, qu’elles soient membres fondatrices ou associées. Cela permet d’avoir une stratégie concertée sur l’enseignement supérieur et la recherche. Nous pouvons aussi porter ou être associé à des projets en commun : journées étudiantes sur le développement durable, forum SEISME, Nos futurs, etc… L’université a aussi associé les établissements à son projet de « convention de l’université en transition » ce qui permet une véritable émulation collective sur le sujet de la transformation universitaire face à ces enjeux.
J’aimerais qu’un jour, les élèves de l’ENS Rennes soient tout à la fois fiers d’être de l’ENS Rennes et de l’université de Rennes, qu’ils et elles soient capables d’en tirer le meilleur parti pour façonner, chacun et chacune leur avenir... Et je pense que nous sommes sur la bonne voie !
[prepas.org] - Nos élèves s’interrogent souvent sur les débouchés des ENS, qu’ils associent principalement à l’enseignement et à la recherche, notamment parce que le diplôme des ENS n’est pas un diplôme d’ingénieur. Qu’en est-il réellement ? Quels parcours suivent les étudiantes et étudiants de l’ENS Rennes après leur formation ?
[Pascal Mognol] - Effectivement, les diplômes des ENS ne sont pas des diplômes d’ingénieurs et c’est très bien ainsi !

Les ENS forment à la recherche. Les élèves sont formés à la démarche scientifique : tout d’abord bien connaître son domaine d’expertise scientifique, ensuite apprendre à bien poser une question de recherche et enfin apprendre à y répondre avec précision, déontologie et éthique. Nous leur apprenons à explorer au-delà des limites connues de leurs disciplines. Pour faire cela, les élèves sont directement mis en contact avec une recherche de très haut niveau, grâce à nos enseignants chercheurs et à nos laboratoires de recherche. Les élèves font ainsi tous et toutes des stages en laboratoire grâce à l’écosystème de recherche rennais, national et international. Pour résumer, nous leur proposons une formation pré-doctorale intensive, sur quatre ans qui leur permettra d’être dans les meilleures conditions pour effectuer une thèse de doctorat.
Ensuite, ils et elles vivent leurs vies ! C’est un fait que nombre d’entre elles et eux vont faire carrière dans le monde de l’enseignement supérieur et de la recherche (CPGE, universités, grandes écoles, organismes de recherche) mais ce n’est pas exclusif, le monde de l’entreprise a aussi besoin de docteurs très bien formés !
[prepas.org] - L’année dernière, le concours des ENS a proposé une formation aux examinateurs et examinatrices afin de lutter contre les biais de genre. Comment cette initiative a-t-elle été accueillie ? Avez-vous pu constater des effets concrets ? D’autres projets sont-ils étudiés au sein des ENS et plus particulièrement de l’ENS Rennes pour rendre le parcours CPGE-ENS plus inclusif ?
[Pascal Mognol] - Tout comme la diversité sociale, la diversité de genre est au cœur de nos préoccupations. Le nombre de jeunes femmes qui nous rejoignent dans les disciplines scientifiques (Math, Info, Mécatronique) est extrêmement préoccupant … et la réforme du bac est de ce point de vue catastrophique. Nous avons mis en place différentes mesures, mais il faut bien l’avouer avec peu de réussite.
La formation au biais de genre a été très suivie, par plus d’une centaine d’examinateurs, le retour que nous avons eu est très positif et nous allons continuer cette action. Notre difficulté première est l’analyse des résultats sur des très petits nombres d’entrantes : ils n’ont pas de valeur statistique. C’est pour cette raison que nous avons un travail commun avec les autres ENS, pour augmenter la taille de la population et tenter de voir des tendances.
Dans le domaine de la diversité sociale, à l’ENS Rennes chaque département d’enseignement et de recherche dispose de 3 allocations normaliennes (1077 euros pendant les 4 années d’études) attribuées lors des admissions parallèles. Ce sont 60 allocations qui sont octroyées en tout. C’est un dispositif dont nous sommes fiers et qui fonctionne maintenant depuis quelques années.

[prepas.org] - Le déménagement prévu en 2030 vers le campus de Cesson-Sévigné rapprochera l’école de ses partenaires institutionnels. Quelles retombées en attendez-vous ?
[Pascal Mognol] - Effectivement, ce n’est pas un simple déménagement. C’est un élément essentiel de notre stratégie d’établissement : se rapprocher du cœur de la recherche rennaise et de nos laboratoires qui sont pratiquement tous sur le campus de Beaulieu de l’université de Rennes, à deux pas de notre future implantation. Faire l’université de Rennes et proposer à nos élèves la meilleure formation pré doctorale ne peut pas se faire en restant, comme aujourd’hui géographiquement éloigné du cœur scientifique rennais. C’est une stratégie qui a été bien comprise à tous les étages politiques, reste maintenant à finaliser le montage financier.
Le campus, c’est l’actuel campus où se situe le campus de Rennes de Centrale Supelec.
Il accueillera d’ailleurs Eskemm numérique qui porte le développement d’infrastructures numériques pour l’enseignement supérieur Breton, dont un data center. Nous imaginons, ensemble, un nouveau campus dont les lignes de forces sont les suivantes :
- Le campus s’inscrit dans un schéma durable à émission de carbone neutre ou négative, avec un regard énergétique pour lui-même et son environnement, qui est un démonstrateur de biodiversité dans un site urbanisé,
- Le campus favorise la santé - au sens de l’OMS - des élèves, personnels et plus largement des citoyens,
- Le campus favorise l’engagement solidaire des élèves,
- Le campus est ouvert au citoyen, multi-usages en fonction des temporalités (jour, semaine, année) et reconfigurable au cours du temps,
- Le campus est le prolongement scientifique naturel du campus de Beaulieu et de l’Université de Rennes.
D’un point de vue plus pratique, les élèves ont des cours sur les campus rennais et les enseignants-chercheurs leurs laboratoires en intra-muros. Cela amène des déplacements quotidiens et une difficulté à créer et maintenir une dynamique scientifique sur le site actuel de l’école.
[prepas.org] - En 2022, l’ENS Rennes a créé le département Sciences pour l’environnement. Pouvez-vous nous en dire plus sur cette initiative ? Quelles raisons ont motivé sa création ?
[Pascal Mognol] - Il y a à l’origine une volonté forte de l’école de se positionner sur les transitions numériques, sociétales et environnementales. Il était important que l’ENS Rennes s’intéresse à ces problématiques et que l’école forme des chercheurs à ces enjeux cruciaux pour la vie sur terre.
Notre stratégie a été de développer plusieurs points à l’ENS Rennes :
- Chaque département aborde ces problématiques avec son propre regard disciplinaire, par exemple : Que puis-je faire, en tant que mathématicien.nes pour répondre à ces enjeux ?
- L’école met en place des formations transversales pour tous les élèves sur ces enjeux.
- L’école intègre ces dispositifs dans son diplôme de l’ENS Rennes i.e. aucun élève ne peut avoir le diplôme sans ces enseignements.
- L’école crée un département spécifique sur les sciences pour l’environnement
Sur ce dernier point, nous avons saisi l’opportunité de créer un PhDTrack « transition environnementale » avec les universités de Rennes et Rennes 2 dans le cadre de IRIS-E, lauréat de l’appel à projet « excellences sous toutes ses formes ». Ce Track Master-Doctorat permet à des élèves de différents master de travailler ensemble sur une problématique interdisciplinaire et ainsi de se préparer à des études doctorales. Le département abrite aussi le CPES SenS (Sciences, Environnement, Société) co-porté avec le lycée chateaubriand de Rennes et l’université de Rennes.
Il va se développer au cours des prochaines années pour accueillir des élèves normaliens et normaliennes dans le cadre du diplôme de l’ENS Rennes.
Je n’oublie pas non plus le rapport « Jean Jouzel » qui a été source d’inspiration. Jean est d’ailleurs le parrain de la promotion 2018.
[prepas.org] - Cette année, une formation (de type eMBA) proposée conjointement par Sciences Po Rennes et l’ENS Rennes a pour ambition de donner aux responsables politiques des clés de lecture, en particulier sur les sujets scientifiques. Comment est venue l’idée de cette formation et quels en sont les objectifs ? Quel rôle jouera l’ENS Rennes spécifiquement ?
[Pascal Mognol] - Tout d’abord, un eMBA (pour executive MBA) s’adresse à un public de professionnels aguerris qui cherchent à parfaire leur compétence dans un domaine donné.
Ce eMBA « métiers du politique » est composé de quatre modules, deux modules sont pilotés par Sciences Po Rennes et deux par l’ENS Rennes dont celui sur la science.
L’idée part d’un constat simple : Notre monde devient de plus en plus technologique et scientifique et la sphère politique est confrontée à des choix scientifiques et techniques qu’elle ne maitrise pas suffisamment pour y exercer un regard critique. Ce eMBA vise à pallier ce manque par des sessions animées par des scientifiques, spécialistes de leur domaine qui amèneront des clés de lecture scientifiques. L’objectif sous-jacent est aussi de rapprocher la sphère politique de la sphère académique et scientifique afin de créer des automatismes de concertation. La science est dangereusement remise en question en ce moment et c’est notre devoir que de rappeler l’absolue nécessité de s’appuyer sur des résultats scientifiques avérés pour prendre des décisions éclairées.
[prepas.org] - Quelles sont les perspectives d’évolutions pour l’ENS Rennes ? Quels sont vos leviers pour permettre à l’ENS Rennes de continuer à grandir et atteindre les 1000 étudiants et étudiantes que vous visez ?
[Pascal Mognol] - Faisons tout d’abord un petit focus sur l’histoire – très récente – de l’ENS Rennes. En 2013, à la création de l’école, il y a environ 400 élèves.
L’ENS Rennes s’est ainsi développée, sur ces propres ressources, pendant un peu plus de 10 ans. C’est le fruit d’un vrai travail collectif de l’ensemble des personnels de l’école et d’un investissement sans faille dans notre mission. L’école arrive maintenant à un moment où il faudra un coup de pouce de l’état pour continuer ce développement. Un argument de poids milite en la faveur de ce soutien : Dans les 10 ans à venir, plus de 40% des enseignants chercheurs vont partir à la retraite et il va falloir les remplacer ! Et je crois savoir que c’est à peu près la même situation pour les professeurs en CPGE. C’est un énorme challenge et l’école est prête à relever ce défi.
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